François Caviglioli et le roman pédophile : quand le Nouvel Obs érotise la pédocriminalité
La fameuse “immunité amoureuse“, telle que décrite et analysée par un article des Nouvelles News, n’est pas récente : il est couramment admis, dans le journalisme, de décriminaliser symboliquement les violences sexuelles et conjugales commises à l’encontre des femmes pour en faire des drames de l’amour, des crimes passionnels, des romances sensuelles, voire des amours maudites.
Dans un article publié ce 22 mai par le site du Nouvel Observateur [1], François Caviglioli pousse l’exercice encore plus loin en rendant compte de faits de pédophilie avérée sous la forme d’un récit romantique et exalté, réduisant ainsi le volet pénal et judiciaire de l’affaire au symptôme de l’intolérance d’une société qui refuserait d’admettre le véritable amour et l’ivresse sensuelle.
L’auteur, à travers les propos d’un magistrat recueillis pour les besoins de l’article, conclut également à une distinction fictive entre la pédophilie masculine (celle qui, assortie de violence, abuserait des jeunes garçons en les pénétrant) de l’ardeur saphique émouvante (décrite à loisir et avec complaisance) qui unirait selon lui une enfant de 12 ans et sa prof de 30 ans.
Dès le titre, l’atmosphère est posée : la pédophilie au féminin, c’est hot
“Yasmine, 12 ans, et sa prof, 30 ans : récit d’une passion interdite”. Certes, on tique sur l’âge, mais c’est si émouvant, ce titre qui en appelle aux affres appétissants de la passion et du délire sensuel.
L’obstacle symbolique contenu dans le mot “interdit”, évoquant l’application d’un apprenti scénariste qui aurait appris par coeur le tuto “Je veux écrire comme Marc Lévy“, nous met l’eau à la bouche et nous fait un peu oublier ce léger détail que constitue l’âge de la gamine, dans cette “passion interdite” (et le fait que si elle est interdite, cette “passion”, c’est peut-être justement parce que Yasmine a 12 ans).
Deux femmes qui s’aiment, c’est tellement beau, n’est-ce pas ? Il est bien connu que les femmes ne s’aiment pas comme les hommes. Une femme, c’est doux, c’est tendre, c’est sexy, et peu importe alors de mettre le lecteur en état de salivation malsaine, lui faisant oublier qu’on parle ici d’une infraction pénale, constituée par l’atteinte sexuelle sur mineur et figurant au Code pénal, et que ce qu’il nous décrit se résume tout simplement, eu égard à l’âge de la victime, à une relation sexuelle entre une adulte et une enfant.
On est en droit de se demander quel serait l’effet provoqué si on avait masculinisé ce titre tout en transposant la mise en évidence corporatiste à une autre catégorie de personne ayant autorité, par exemple comme ceci : “Antoine, 12 ans, et le curé de sa paroisse, 30 ans : une passion interdite”.
Caviglioli aurait-il été aussi ému par les images que suggèrent un tel titre, au point de rédiger son article sous la forme d’une romance passionnée ? Même en évitant de penser à un acte de pénétration sexuelle, pour garder l’équilibre “physique” du parallèle entre la pédophilie masculine et la pédophilie féminine, Cavilgioli aurait-il osé évoquer “les méandres et la géographie de la carte de Tendre”, “les appels du désir et tous les désordres de la passion”, “l’algèbre des sentiments, les exigences et les égarements du corps”, “un amour condamné, une relation que les deux amants savent maudite”, voire “des étreintes furtives pimentées par le risque d’être surpris” ?
Concrètement, et pour nous permettre de bien cerner de quoi on parle, l’auteur de l’article aurait-il osé nous faire visualiser le pénis d’un homme de 30 ans dans la bouche ou dans la main d’un enfant de 12 ans avec la même exaltation attendrie ? On peut se permettre d’en douter.
La description exaltée de relations sexuelles entre femmes : le fantasme personnel de Caviglioli ?
Tout au long de l’article, François Caviglioli nous donne l’impression de raconter une histoire d’amour, et le ton est lyrique, emporté. La tendresse supposée des “étreintes”, dans le cadre de cette “liaison”, fait totalement l’économie de l’aspect délictuel (au sens pénal du terme) des faits, ainsi que des multiples et complexes aspects de la violence psychologique et de l’abus d’autorité constitués par le fait, pour une adulte de 30 ans, d’amener une enfant de 12 ans à avoir avec elle des relations sexuelles.
On est loin de la conception acceptable d’un reportage, quand bien même il peut être admis de poser sa “patte”, sa “plume” dans le compte rendu de certains faits, afin de plonger le lecteur dans une atmosphère précise, et de rendre le récit plus vivant. Mais le reportage reste, malgré toutes les fioritures dont on peut l’enrober, un réel travail journalistique à caractère informatif. Le texte de Cavilgioli, riche en extrapolations imaginaires et parcellaire quant à l’équité des propos recueillis, s’éloigne du travail de reporter auquel il aurait du se cantonner.
Pire encore, le contenu de l’article est truffé de représentations fantasmées : la complaisance explicite avec laquelle l’auteur choisit de nous dépeindre une agression sexuelle pédophile comme une belle histoire d’amour, de désir et d’ivresse sensuelle, sème le doute sur son degré d’excitation personnelle à la visualisation de deux femmes en train de faire l’amour, oubliant ce qu’implique l’âge de Yasmine.
Non qu’il soit condamnable d’avoir des fantasmes, et d’aimer imaginer les ébats sexuels de deux femmes (du moins tant qu’on s’abstient de toute lesbophobie sous-jacente ou de comportement patriarcal).
Mais on est en droit de montrer un certain scepticisme devant le spectacle d’un adulte, journaliste, se délectant visiblement (dans une emphase érotique totalement décomplexée) de la représentation fantasmée de relations sexuelles entre une enfant de 12 ans et une adulte, et ce au point d’en faire une ébauche de scénario digne d’un roman pour pervers.
Sans vouloir attaquer le parcours de Caviglioli, rappelons tout de même qu’il est également romancier et scénariste. Peut-être a-t-il ici mélangé les genres, et laissé un peu (trop) de lui-même et de son imagination corrompre son récit ?
Le choix éditorial du Nouvel Obs : une responsabilité à ne pas négliger
Il serait toutefois injuste de considérer François Caviglioli comme unique responsable. Son article a été validé par une rédaction, et publié après vérification et relecture. Et il faut bien admettre que depuis quelque temps, certains choix éditoriaux du Nouvel Observateur suscitent la perplexité : entre le dérapage lié à la fondation Lejeune, la visibilité discutable accordée au livre de Marcela Iacub et la caution apportée aux bidonnages de TF1, pour ne citer que les exemples les plus récents et les plus frappants, il y a de quoi se demander où sont passées les belles valeurs du journal.
En son temps, le Nouvel Observateur a fait oeuvre utile, c’est indéniable ; mais le souvenir des 343 salopes de 1971 et de l’accompagnement de luttes nobles s’éloigne de plus en plus nettement, et il devient difficile aujourd’hui pour le Nouvel Observateur de se reposer sur des lauriers bien fanés.
Choisir de mettre en ligne un texte constituant ni plus ni moins qu’une apologie ouverte de la pédophilie (et peu importe que les faits soient travestis par le choix d’une narration romancée et par l’érotisation de l’acte pédophile sous couvert de douceur féminine) représente au mieux un manquement à la déontologie, au pire une confirmation de la dégringolade progressive d’un titre qui avait pourtant marqué, à sa façon, l’histoire du journalisme.
Edit du 28 mai : François Caviglioli a ajouté à la fin de son texte une “note aux lecteurs”, dans laquelle il affirme qu’il ne fait pas l’éloge de la pédophilie et que “ceux qui savent encore lire ne [lui] font pas ce reproche”. Arrogance d’une prétendue élite intellectuelle, qui méprise ses lecteurs et que n’aurait pas renié Léo Ferré quand il chantait “Petite” (chanson dans laquelle l’artiste déplorait la présence du code pénal sous la jupe d’une gosse désirable dans la cour de récré)
Il nous livre également une nouvelle interprétation de son texte, affirmant que “Dans ce quartier de Lille-Sud dont les habitants se plaignent d’être abandonnés, et dans un collège où il est difficile d’accorder à chaque enfant l’attention qu’il mérite, une jeune élève s’est sentie pour la première fois exister sous le regard d’une enseignante qui ne ressemblait pas aux autres”. Dommage que Caviglioli se ridiculise encore plus avec cette justification mensongère et expéditive qui n’a aucun rapport avec le contenu du texte érotisé publié par le Nouvel Observateur.
Cette “note aux lecteurs” enfonce en fait le clou, et confirme que le Nouvel Obs publie sciemment (et laisse en ligne) un article pro-pédophile à travers la plume fantasque d’un de ses journalistes.