Violentomètre : pas de zone orange

La version originale du violentomètre me mettait mal à l’aise. Je trouvais l’idée géniale mais le résultat me paraissait presque dangereux. Pour autant, j’avais du mal à formuler clairement ce qui me gênait.

L’affaire Quatennens et les réactions ordurières de ses défenseurs m’ont permis de clarifier.

Je suis donc partie de cette gifle, dont il a semblé pertinent au comité de soutien dégoulinant d’admiration de Quattenens de déterminer si oui ou non elle était acceptable : oui ou non, le fait de gifler sa femme une fois, après l’avoir bousculée, après l’avoir harcelée et lui avoir pris son téléphone, était-il à mettre au même niveau que le fait de “battre [sa femme] tous les jours” ?

Un mec violent qui revendique ses actes en prétendant ne pas être violent mérite-t-il d’être conspué ? Non : apparemment il mérite admiration et témoignages de soutien. Y compris de la part des femmes du parti, dont les déclarations successives ont mis au concept de sororité une gifle aussi violente que celle infligée par Quattenens. On aurait pu croire qu’elles allaient saisir l’occasion de tout faire péter et de prendre les rênes, mais il semblerait qu’en termes de lâcheté au service de l’ambition politique personnelle, l’égalité soit atteinte au sein de LFI comme dans les autres partis : les femmes y sont aussi opportunistes et peu intègres que les hommes. Et je me vois mal faire preuve de sororité envers elles : ce sont des femmes de droite.

J’ai donc constaté qu’en 2022 et malgré tout le travail accompli ces dernières années, les violences conjugales restent appréhendées comme un ou des actes commis à un instant T, dont il conviendra d’apprécier ou non la justification.

Elles ne sont pas appréhendées dans le cadre d’un continuum, et c’est regrettable, voire criminel envers les femmes victimes : on continue en effet à leur faire croire qu’il existerait des comportements pas tout à fait normaux mais pas tout à fait violents, qui constitueraient, dans la relation de couple, une étape démocratique où il est encore possible de rétablir un fonctionnement “normal”, la vigilance étant bien sûr à la charge de la victime.

C’est là tout le problème de la zone orange du violentomètre. La zone orange ne devrait pas être le lieu ou le temps de la vigilance : c’est déjà la violence. Il n’y a pas de gradation, il n’y a que deux états : soit il y a de la violence, soit il n’y en a pas. S’il y a de la violence, il ne peut plus y avoir de relation de couple démocratique. Plus jamais.

C’est parce qu’avant un coup physiquement porté sur la victime il y a eu des violences, que cette violence incarnée par le coup a pu arriver. C’est parce qu’il est arrivé dans la continuité d’une situation progressivement installée et matérialisée par une escalade de violences innommées, non considérées comme telles, si subtiles et si insidieuses que la victime ne se savait pas victime, que ce coup s’abat.

Et c’est parce qu’on encourage toujours les femmes à négocier le niveau de violence acceptable dans le couple plutôt qu’à leur insuffler la tolérance zéro, en faisant d’elles les impossibles thérapeutes d’une relation décrite comme malade (d’un manque de communication dont elles seront les garantes, les coupables et les victimes, par leur propre faute), les poussant à dialoguer, comprendre et se mettre en état d’hypervigilance, qu’elles se retrouvent un jour à se demander si elles doivent porter plainte, alors que si on leur avait appris à rompre à la première violence, elles se seraient simplement demandé si elles devaient garder la table basse ou la laisser à leur ex. Et ça, c’est tout le problème de la zone orange.

Manuel Bompard, dans son récent communiqué, a d’ailleurs cru malin de mentionner le violentomètre pour justifier la hiérarchisation des violences conjugales (la zone orange) et pour relativiser la gifle par rapport à d’autres violences (toujours la zone orange !) : le simple fait qu’un homme puisse se prévaloir de cet outil pour relativiser la gravité d’un geste violent et justifier la gradation des violences au prétexte d’une réponse pénale proportionnée à chacune, est le symptôme du mépris de la société toute entière envers les femmes violentées par leur conjoint, compagnon ou ex-conjoint, mais aussi le symptôme de cette gangrène qui ampute les femmes de leur droit à dire stop, tout de suite, sans exception, et en toute légitimité.

Dans la vraie vie, il n’y a pas de zone orange. Il ne devrait jamais y en avoir.