Quatennens, LFI et les politiciennes : des nouvelles de la France soumise
Je ne sais pas si mon vécu disqualifie ma parole. C’est possible. Ou peut-être me confère-t-il au contraire une légitimité qui manquerait à une femme n’ayant pas traversé les mêmes épreuves. Je n’en ai pas la moindre idée, et je pourrais cogiter pendant des années encore, je pense que je ne parviendrai jamais à trancher.
Je suis avec intérêt les sociologues qui travaillent sur les violences masculines (et notamment sur le contrôle coercitif). Je ne me demande pas s’ils et elles ont l’expérience du sujet à titre personnel. Leur travail me paraît essentiel et je les estime qualifié.e.s pour faire leur boulot, c’est tout.
Ce qui est sûr en revanche, c’est que je ressens des choses et que rien ne peut entamer mon droit à prendre la parole pour mettre des mots sur ce que j’éprouve. Peu m’importe au final la réception de cette parole auprès de celles et ceux qui souhaiteraient la qualifier ou la disqualifier, la considérer comme l’expression d’une expérience intime ou comme le marqueur d’un phénomène systémique. Parfois, j’aime me dire que ma prise de parole est utile, parce que ça me gratifie de le croire, mais il y a deux jours, Edgar Morin demandait sur twitter “Qu’y a-t-il de meilleur que se sentir utile ?” et Joan Stavo Debauge lui a répondu “Être réellement utile – et l’évaluation de cette utilité revient à autrui, et non à l’agent, qui est toujours susceptible de se faire croire à lui-même que son activité est d’importance”
J’ai adoré la réponse mais j’avoue qu’elle m’a un peu claqué le beignet et m’a passé l’envie de me trouver utile moi-même toute seule. Toujours est-il que je ressens, j’exprime, je postule, je cogite et je conclus, car ma parole est libre. De fait, je suis en désaccord avec la rengaine post #MeToo, qui rabâche à toutes les sauces le refrain selon lequel la parole des femmes se serait “enfin” libérée. Foutaises. La parole des femmes a toujours été libre, du moins entre elles. La seule chose qui a légèrement changé, c’est que des hommes daignent enfin écouter conditionnellement, brièvement et de façon parcellaire cette parole.
L’égalité entre les femmes et les hommes reste, à ce stade, une égalité aux normes masculines. La libération de la parole des femmes aussi : c’est à l’écoute qui lui est accordée par les hommes qu’on en évaluera la liberté. Nous ne sommes perçues qu’à travers le prisme masculin, encore et toujours. Il nous est refusé, même lorsqu’on nous écoute, de nous extraire de l’échelle de valeurs des hommes : elle nous définit, nous circonscrit, nous évalue et nous mesure en toutes choses. Nous affranchir de ce cadre constitue une entreprise compliquée, l’oeuvre de toute une vie pour certaines d’entre nous, une tâche vite expédiée pour d’autres. Chacune fait comme elle peut.
Ceci étant posé, aucune injonction à la sororité ne me fera gober qu’il est pertinent pour une femme politique de se coucher devant les hommes de son parti afin de préserver son petit pré carré, son projet d’ascension personnelle et sa position au sein de l’organe auquel elle a accédé. Oui, même si c’est compliqué pour les femmes. Même si on se dit qu’il est nécessaire qu’elles accèdent à des postes importants, même si on veut atteindre la parité, même si on croit aux licornes qui chient des paillettes.
Ma réalité à moi, c’est que c’est peine perdue de vouloir changer la donne une fois qu’on a pris part à un jeu dont les règles ont été pensées par des hommes et pour les hommes. Le coup du cheval de Troie, ça ne marche pas à chaque fois ; et de ce que je vois depuis hier, être à l’intérieur de l’enceinte ne confère aucun pouvoir de changer les choses, dès lors qu’on a commencé à s’allonger. Tout au plus gesticule-t-on en direction des femmes que l’on trahit à force de lécher les bottes des hommes qui les violentent, pour essayer de leur faire croire que quand même, not in my name les bichettes.
C’est bien sûr l’interview donnée par Quatennens qui m’a mise en colère. Et dans ce contexte précis, j’ai l’absolue certitude d’être la pire personne avec qui aborder le traitement que l’on devrait réserver aux hommes violents : en dépit de ma formation et de toute la pondération dont je suis parfois capable, il m’est en effet impossible de discuter de la réponse pénale à donner aux violences conjugales et d’une éventuelle prise en charge des auteurs de violences. Systématiquement et en moins de 3 minutes, je m’entends affirmer qu’on devrait tous les buter et qu’on économiserait ainsi l’argent du contribuable et les illusions des femmes qui croient encore que porter plainte changera quelque chose.
Partant de là, j’évite d’aborder le sujet. Je sais que je dis de la merde. Et certains événements me font particulièrement câbler : entendre un homme violent faire du DARVO, par exemple, ça me rend dingue. Ca fait résonner en moi des trucs vraiment épouvantables, qui réactivent d’autres trucs épouvantables, et qui me donnent envie de peler le jonc de tous ces connards avec un cutter rouillé tout en pleurant à chaudes larmes. Vraiment, je ne suis pas la bonne interlocutrice pour ça.
Alors l’interview de Quatennens, évidemment qu’elle m’a collé une réactivation traumatique gratinée. Évidemment que j’ai trouvé ça indécent, inadmissible, rageant, écœurant etc. Mais bon. C’est ça le jeu. C’est comme ça que ça fonctionne. C’est contre ça qu’on se bat. C’est aussi devant ça qu’on vacille, qu’on se sent écrasée, niée, violentée encore plus. Voir Quatennens dérouler son scénario de merde, ça m’a fait une bonne petite dose de rappel pour ne jamais oublier que si les violences conjugales et post-séparation se portent si bien, ce n’est pas par hasard ou par manque de bol, mais parce que tout est pensé pour que ça se passe ainsi.
Alors Quatennens, c’est sûr qu’il m’a vraiment mise à genoux avec son interview. Mais ce n’est rien à côté des réactions abjectes des femmes du parti suite à cette interview. Elle est loin, la “relève féministe” dont il a tant été question pendant quelques jours. Le temps est venu de garder son cul bien au chaud et s’exprimer mollement pour ne pas trop vexer les électrices/supportrices, ou l’opinion publique féminine. En résumé : “On est choquées déçues, euh, voilà”.
Je sais bien qu’il est mal vu de désapprouver des femmes alors que le coupable est un homme, et de leur reprocher à elles une prise de parole qui semble pourtant désapprouver l’intervention de Quatennens. Je conçois qu’à leur niveau elles pensent accomplir des choses, localement ou moins localement, et on pourrait m’opposer la sincérité de leur engagement politique et une foule d’arguments défendant leur action et leur investissement au sein du Parti.
Mais ça ne se connecte pas, dans mon cerveau. Je bugge. Déjà, sincérité et politique dans la même phrase, ça m’écorche les doigts et ça fait fondre mon clavier. Ensuite, si on veut parler de sororité, j’estime que le fait même de porter l’étiquette d’un parti dont le leader a ouvertement pris la défense d’un homme violent, c’est un manque de sororité total et définitif à l’égard des femmes victimes de violences. Elles s’expriment sur Twitter pour dire que Quatennens est un vilain, mais bordel, qu’est-ce qu’elles foutent encore là, estampillées LFI ? Il n’y a rien d’insoumis dans la France de ces politiciennes.
Et que Dieu me tripote, comme disait Desproges, certes les hommes violents me dégoûtent. Mais les femmes qui s’allongent devant eux alors que rien, strictement rien ne les y oblige, ni la peur de mourir sous leurs coups, ni la crainte de ne pouvoir subsister si elles s’en éloignent, elles, elles me dégoûtent encore plus. Que des femmes politiques soi-disant de gauche (une gauche fictive bien sûr, vu qu’il n’y a plus de gauche en France) choisissent de rester au sein d’un parti masculin, n’importe lequel, ça me dépasse : si vraiment la politique c’est leur truc, qu’elles se barrent, se rassemblent et montent leur propre machin, bon sang. Avant même de lutter contre l’oppression masculine, déconstruire sa propre soumission, ce ne serait pas du luxe.
J’aimerais croire qu’elles n’ont pas compris que si l’union fait la force, la complaisance avilit. Mais j’ai plutôt l’impression qu’elles le savent et qu’elles s’en foutent.