Le web 2.0, cette arnaque à laquelle nous croyons toujours

Il paraît que les psychopathes n’ont pas de compte Facebook. Ils ne seront donc pas seuls.

Ne pas cautionner Facebook dans son principe n’est pas forcément la marque d’une pathologie psychiatrique. Cela peut également être la conséquence logique d’un raisonnement qui refuse le déclin du web tel qu’il mérite d’être, mais surtout, cela traduit un refus total et définitif de laisser nos données personnelles enrichir des entreprises commerciales.

Le web 2.0, entre mythe et arnaque

Lorsque Tim O’Reilly a pondu le concept nébuleux de web 2.0, il n’a pas vraiment su le définir. Certains critères, pas forcément cumulatifs, ont pu être retenus, sans pour autant éclaircir la notion. Le fondateur du Punxrezo résume ainsi la chose :

“Le web 2.0 repose sur une double arnaque, technique et sémantique ; l’inventeur du machin, Tim o’Reilly, est revenu dessus à plusieurs reprises, sans apporter de réponse définitive. De manière générale, on nous vend la soupe comme étant une révolution technique – la programmation en Ajax – et pratique – le web serait devenu ‘participatif ‘. C’est beau mais c’est bidon : l’Ajax n’est qu’une appellation générique désignant un ensemble de technologies qui existent déjà, et Internet n’a pas attendu un hypothétique web 2.0 pour être participatif. En effet, les forums et webzines se sont répandus il y a bien longtemps, avec la démocratisation de solutions à base de php/mysql comme phpbb, spip, phpnuke…”

Cela signifie-t-il que le web 2.0 tel que nous le connaissons n’existe pas ? En fait, si, il existe. Il existe et consiste, si on me permet de transposer ici l’expression de Serge Halimi, en un “grand bond en arrière“, dans sa catégorie. Pourquoi un bond en arrière ? C’est simple : Internet, tel qu’il est né, a quasiment disparu. Il a été aspiré, absorbé, dans le cadre d’un cambriolage sans scrupules, au profit de quelques grosses plateformes. Internet aujourd’hui, c’est une vitrine de centre commercial derrière laquelle sont centralisées toutes nos données, avec une monétisation systématique, et même de ce qui, à première vue, ne peut pas l’être.

Facebook et le web 2.0 : “Donne-moi tout pour pas un rond, je le vendrai cher”

Internet, réduit à ces monstruosités, n’a plus rien de libre et de concrètement participatif. En pratique, comme l’explique le créateur du Punxrezo :

“Le web 2.0 se résume à une transformation intégrale de l’individu en marchandise, transformation basée sur le concept génial (oui, c’est ironique) de l’UGC : le “User Generated Content’, c’est-à-dire le contenu généré par l’utilisateur. Autrement dit, l’entreprise ne fait absolument rien. L’utilisateur fournit gracieusement ses données personnelles, qui sont revendues à prix d’or aux régies publicitaires. L’utilisateur fournit aussi gracieusement le contenu du site, et enfin il fournit le temps de cerveau disponible de ses visiteurs par l’affichage imposé de bannières publicitaires. 

Et comme pour entrer en communication avec un utilisateur il faut s’inscrire, eh bien l’utilisateur fournit aussi de nouveaux membres. C’est le jackpot à tous les étages. La société ne fait rien, ne produit rien, mais monétise tout ce qui ne lui appartient pas : le contenu, les données personnelles, le lien social. Et pour vendre son concept, elle l’emballe dans une terminologie humaniste à base de mots comme ‘participatif ‘, ‘réseau social’, et ‘gratuité’. Mais où avez-vous vu du gratuit là-dedans ? Toujours est-il que ça roule tout seul. Facebook constitue aujourd’hui une valeur boursière colossale, sans produire un seul contenu.”

L’illusion de la gratuité : en fait la marchandise, c’est nous

Aucun service sur internet n’est vraiment gratuit. Et si l’expression “no free lunch” ne vous dit rien, je vous encourage vivement à aller lire deux textes essentiels :

1. Celui de Xavier Wauthy, paru dans le numéro 59 de la revue “Regards économiques”, intitulé : “No free lunch sur le web 2.0 : ce que cache la gratuité apparente des réseaux sociaux numériques” (pour lire l’article en ligne, cliquez ici). Pour vous mettre en appétit, une petite citation de l’intro :

“La gratuité d’usage, érigée en norme sur Internet, nous y apparaîtra comme la composante partielle d’un système de tarification plus large, obéissant à une logique de marché multiface.”

2. Celui de Laurent Chemla, paru chez “Reflets”, et intitulé “Ils sont forts, ces voleurs 2.0” (cliquez ici). Morceau choisi :

“Tous les ayant-droits qui couinent sur la disparition du droit d’auteur sont restés bloqués sur l’ancien modèle, mais nous, le reste du monde, on vit tous les jours avec ça : nos oeuvres à nous sont monétisées par nos éditeurs 2.0 qui se sucrent avec sans jamais rien nous reverser. On a pris l’habitude et allez donc expliquer à un gamin que ce qu’il crée lui doit rapporter du fric à Blogger.com, mais qu’il doit payer pour voir les créations des artistes officiels. C’est avec le Web 2.0 que le droit d’auteur est mort dans l’esprit des gens, pas avec le piratage.”

Chemla explique avec beaucoup de clarté et d’humour comment Facebook nous vole “4 fois”, et pourquoi la gratuité n’est qu’apparente dans le prétendu “web participatif” ou “web 2.0”.

Facebook : parasitage des entreprises

Dommage collatéral ou fondement même de la révolte contre l’illusion de la gratuité et le mythe de l’Internet participatif, la présence imposée de publicité va de pair avec l’arnaque du web 2.0.

Tout d’abord, soulignons que ces plateformes du web 2.0 sont des entreprises commerciales. Facebook, pour prendre l’exemple le plus accessible, n’est pas un outil interne dont l’utilisation pourrait légitimement être imposée aux employés d’une société, comme on peut imposer, de façon pertinente, le port d’un uniforme, de chaussures de sécurité ou l’utilisation d’un outil indispensable à l’exécution des tâches inhérentes à un poste.

Mais Facebook, entreprise commerciale extérieure, a accompli la prouesse du parasitage absolu, s’imbriquant progressivement de façon si étroite au fonctionnement même du web participatif qu’on en vient à l’utiliser comme un outil de travail, sans qu’elle soit pour autant intégrée à un processus classique d’externalisation : en effet, Facebook ne constitue pas une fonction d’outsourcing (les entreprises pour lesquelles nous bossons ne paient pas Facebook pour assurer en externe des tâches auparavant exécutées en interne, comme c’est souvent le cas pour la fonction paie, par exemple), ni un outil interne (Facebook n’est pas un outil interne à l’entreprise).

On ne peut donc, si on raisonne en termes de bon sens et de pertinence, exiger d’un salarié qu’il utilise Facebook au sein de son entreprise. On ne peut même pas exiger qu’il possède un compte Facebook. Pourtant, Facebook s’est invité, par le biais des postes de community management notamment, dans la fonction “diffusion des contenus” de beaucoup d’entreprises.

Gangrène publicitaire

Quant à la publicité, dont l’affichage obligatoire caractérise bien souvent le modèle économique du web 2.0 et des réseaux sociaux (la publicité étant souvent la seule source de revenus, à moins que l’entreprise n’ait fait le choix de diversifier ses revenus en fournissant elle-même du contenu payant à d’autres supports, ou en vendant des prestations de services annexes), elle est la composante essentielle d’une sorte de marché de dupes, qui pourrait se résumer, selon le taulier du Punxrezo, à la comparaison suivante :

“Quand l’accès au web passe obligatoirement par un réseau ou site précis, et qu’on se présente comme appartenant à ce réseau, cela revient à donner rendez-vous aux gens dans un endroit qui ne nous appartient pas, qu’on ne pourra éviter et qui, chaque fois qu’il est cité, provoque un impact publicitaire. C’est agaçant. Comme si, parce qu’elle concerne internet, la publicité devenait magique et n’avait plus aucune conséquence.”

En ce qui concerne le ciblage des annonces publicitaires proprement dit, ce n’est plus un secret : pour rester dans le cadre de Facebook, plus vous renseignez votre profil, plus vous offrez d’informations, plus cher l’entreprise les vendra aux annonceurs, et plus précisément adaptées à vos “goûts” seront les pubs qui apparaîtront sur votre écran.

Permettons-nous donc de préférer à Facebook et au prétendu web 2.0 une conception d’Internet qui nous permettra de ne pas donner notre temps de cerveau disponible à des marques que nous n’avons pas invitées sur notre écran. Car il est encore possible de s’approprier un espace sur Internet qui n’enrichisse personne.

Refuser le web 2.0 et le participatif tel qu’il est communément entendu, et ne pas avoir Facebook par la même occasion, n’est donc pas obligatiorement un “suicide social” mais une simple question de cohérence. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il y a bien une vie sociale possible (y compris sur le web) en dehors de Facebook.

Internet offre encore cela : la liberté de ne pas souscrire. Et de bâtir ce qu’on veut. Ou pas.