Femmes harcelées, agressées dans les lieux publics : et si on se battait, au sens propre ?

Je croyais en la force des mots. Je croyais aussi au pouvoir de l’éducation. Je croyais aux actes raisonnés, aux convictions exprimées avec pondération ou avec force, je croyais à tout cela et j’avais la foi, car il en faut pour militer. J’expliquais pourquoi je pense le féminisme nécessaire, puisqu’il profitera aux filles mêmes de nos détracteurs.

Bien sûr, il faut sans cesse remettre l’ouvrage sur le métier, et cela nécessite du courage, de continuer à lutter. Mais nous n’avons pas le choix, comme le dit Line : nos yeux sont ouverts, nous ne pouvons pas les refermer.

Je croyais donc en la force des mots, et en l’éducation. J’y croyais tellement que j’étais prête à passer pour une cinglée quand j’expliquais que nous devons éduquer nos garçons à ne pas être des agresseurs sexuels. Ce texte avait beaucoup choqué, la plupart des gens trouvant bien plus logique d’éduquer les filles à éviter le viol en le leur présentant comme un risque NORMAL, plutôt que d’éduquer les garçons à ne pas violer. On m’avait également trouvé odieuse de considérer nos enfants mâles comme de potentiels agresseurs sexuels, puisque les agresseurs, ce ne sont pas eux, ce ne seront jamais eux, voyons.

On m’a dit aussi que la rue c’est dangereux, que c’est normal, que c’est un fait, et que la seule solution est bien d’apprendre aux femmes à faire attention. Éviter la mise en danger, limiter les risques, être une femme prudente, voilà la solution que l’on m’a présentée comme bonne, pour que nous, femmes, soyons en sécurité dans la rue.

La question que je me pose est donc la suivante : comment se fait-il, alors que c’est précisément ce qui est fait (limiter la liberté des femmes dans l’espace public en les éduquant à ne pas se vêtir, se conduire et se déplacer de telle ou telle façon, et surtout pas à n’importe quelle heure dans n’importe quel endroit), que le nombre de viols et d’agressions sexuelles ne baisse pas ?

Si c’est une si bonne solution, pourquoi ne fonctionne-t-elle pas ?

Je croyais aux actes raisonnables. Je croyais en l’éducation. Et je crois toujours qu’il est nécessaire d’expliquer aux garçons, aux hommes, ce qu’est le consentement, le respect, et je crois toujours nécessaire de leur expliquer que les femmes ont le droit de se trouver dans l’espace public sans être en danger, danger qu’elles courent parce que notre société préfère les éduquer elles à ne pas occuper librement cet espace, sous peine d’être violées ou agressées sexuellement, plutôt que d’éduquer les hommes à ne pas violer ou agresser sexuellement les femmes.

Je croyais aux actes raisonnables et à l’éducation parce que je trouvais contre-productif de nous terrer comme des victimes présupposées, évitant tel endroit à telle heure parce que nous avons été contraintes d’abandonner la rue à la toute-puissance d’hommes dont on trouve normal qu’ils nous fassent courir un danger. Ces hommes qui ne sont pas, ne devraient pas être nos prédateurs, nos ennemis.

Éduquons et luttons. J’y croyais.

Mais à présent, je crois aussi que nous pouvons nous battre. Au sens propre. Nous battre contre nos agresseurs. Leur péter la gueule.

Parce que maintenant, je crois profondément, sincèrement et durablement que si agresser une femme, la traiter de pute, de salope, la harceler, lui toucher les fesses, les seins, le sexe sans son consentement, la contraindre à subir des actes sexuels, devenait DANGEREUX pour les hommes (oui, écrit en majuscules, rien que ça), ils le feraient moins.

Le jour où un mec qui agresse sexuellement une femme dans la rue se fera casser la gueule, risquera ses dents, ses couilles, sa peau et sa vie, ça pourrait contribuer à changer pas mal de choses. Alors certes, il le tentera toujours. Mais il y arrivera moins. Il se fera, au sens propre, démonter la tronche. Je n’irai pas jusqu’à suggérer qu’avant de le laisser sortir de la maison, sa famille lui dira de faire gaffe à ne pas agresser une fille parce que c’est dangereux d’agresser les filles dans la rue la nuit, parce que ça, ce serait vraiment idéal, mais on peut tendre vers cet objectif.

Je crois que nous, femmes, pouvons apprendre à nous servir de notre corps en allant à l’encontre de tout ce que nous avons appris. Nos corps peuvent devenir une arme bienfaisante, émancipatrice, pour des actions de violence politique.

Imaginez une femme en terrasse. Imaginez qu’elle soit harcelée par un connard. Imaginez qu’on regroupe autour de lui une dizaine d’autres femmes furieuses. Qu’on encercle ce salopard. Qu’on le menace. Et s’il refuse de laisser sa victime tranquille, qu’on le déloge de là à coups de latte.

Imaginez que les femmes apprennent à se battre. Pas seulement à se défendre. À se battre vraiment. Plus petites ? Plus faibles ? Plus vulnérables ? N’importe quoi. Éduquées à être vulnérables, éduquées à ce que leur petite taille soit considérée comme un handicap, oui. Mais plus faibles par nature ? Mon cul, oui. Nous ne sommes pas plus faibles.

Nous avons simplement plus peur qu’eux.

Nous nous sentons vulnérables.

Nous avons intégré notre faiblesse et notre passivité comme une composante naturelle de notre identité.

Nous laissons le pouvoir, symbolique et physique, aux hommes qui nous agressent.

Alors tant qu’à voir nos corps considérés comme des objets par la société, pourquoi ne pas apprendre à faire de nos corps des objets dangereux pour nos agresseurs ? Pourquoi ne pas dépasser le stade des cours d’auto-défense (très utiles quand c’est bien fait), et y ajouter l’apprentissage de vraies techniques de combat, auxquelles nous serons formées en salle et en situation réelle, dans la rue ? Armons-nous donc, si nos poings et nos pieds ne suffisent pas, d’objets qui blessent. Et blessons nos agresseurs.

La légitime défense obéit à des règles juridiques très strictes. Appliquons-les donc, et si nous le souhaitons, pétons la gueule aux hommes qui nous agressent.

La sidération, la terreur paralysante quand on subit une agression, la crainte d’avoir mal, d’être blessée, ce sont des réalités d’une grande violence. Quiconque a déjà, comme moi et comme beaucoup d’autres, vécu cette violence, cette sensation d’être sans défense, incapable de bouger, pétrifiée par la crainte de crever, sait de quoi je parle. Les autres imagineront.

Mais quiconque s’est déjà défendu sait également ce qu’on ressent quand on résiste, et surtout, ce qu’on ressent quand on survit. Jacks Parker explique ça très bien, ici et .

Des hommes, soutenus et cautionnés par la société, font de la rue un endroit dangereux pour nous. Rendons-leur la monnaie. Quand ce sera fait, nous pourrons cohabiter en paix. Parce que la pédagogie, ça n’a pas tellement l’air de fonctionner, finalement.

Valérie, dans son excellent texte relatif aux luttes féministes et aux hommes, a cité Christiane Rochefort. L’extrait est célèbre et figure sur la page d’accueil de ce site, mais vous savez quoi ? Je vous en remets une petite couche. Ça ne peut jamais faire de mal.

Il y a un moment où il faut sortir les couteaux. C’est juste un fait. Purement technique. Il est hors de question que l’oppresseur aille comprendre de lui-même qu’il opprime, puisque ça ne le fait pas souffrir : mettez vous à sa place.
Ce n’est pas son chemin. Le lui expliquer est sans utilité. L’oppresseur n’entend pas ce que dit son opprimé comme langage mais comme un bruit. C’est la définition de l’oppression [….] L’oppresseur qui fait le louable effort d’écouter (libéral intellectuel) n’entend pas mieux. Car même lorsque les mots sont communs, les connotations sont radicalement différentes.
C’est ainsi que de nombreux mots ont pour l’oppresseur une connotation-jouissance, et pour l’opprimé une connotation-souffrance.
Ou : divertissement-corvée. Ou loisir-travail. Etc.
Aller donc communiquer sur ces bases.”

C’est ainsi que la générale réaction de l’oppresseur qui a “écouté” son opprimé est, en gros : mais de quoi diable se plaint-il ? Tout ça c’est épatant.

Au niveau de l’explication, c’est tout à fait sans espoir. Quand l’opprimé se rend compte de ça, il sort les couteaux. Là on comprend qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Pas avant.

Le couteau est la seule façon de se définir comme opprimé. La seule communication audible.[…]

Je propose donc d’appliquer tout cela au sens propre.

En attendant, j’irai où je veux, quand je veux, à l’heure qui me plaît. Le premier qui me touche, je le déboîte. Et j’affirme ça après avoir passé ce printemps 2015 à circuler en ville et à me faire emmerder par des connards, alors que je ne suis ni jeune ni jolie, ni particulièrement rompue aux usages urbains (moi, si longtemps tranquille au fond de ma cambrousse).

Le dernier salopard que j’ai éjecté de mon chemin en le collant contre le mur, sans aucune dextérité, après l’avoir maladroitement attrapé par sa veste de merde, pourrait d’ailleurs certifier que je ne plaisante pas.

(Ce texte pourrait aisément passer une incitation à la violence. Auquel cas on considérera que j’ai très certainement coulé une bielle et qu’il faut me mettre sous tutelle. Je vais reprendre une part de tarte.)