Lutter contre le viol ? Nos fils adolescents, violeurs potentiels. Notre refus de l’admettre, et de les élever autrement.

[Ce texte vient illustrer et appuyer l’article “Comment lutter contre le viol“. Cliquez sur le lien et lisez ce texte avant de lire le mien.]

Nous, parents. Nous pensons que nos enfants sont de pures merveilles. Oui, bon, ça dépend des jours.

Enfin globalement, nos enfants sont des merveilles. Du moins si l’on excepte les moments où ils sont (au choix ou cumulativement) un peu cons, un peu chiants, un peu indisciplinés, un peu sales, un peu bordéliques, un peu de mauvaise foi, un peu ingrats, un peu coléreux, un peu collants, un peu trop, un peu pas assez, un peu à côté, un peu pas géniaux, un peu trop géniaux… Mais en dehors de ces menus détails, nos enfants sont merveilleux.

Alors ils ne sont pas tous merveilleux au même titre, évidemment. Nos filles sont merveilleuses comme des filles, et nos fils sont merveilleux comme des garçons, cons de parents que nous sommes, à galérer pour dégenrer l’éducation que nous leur donnons.

Mais globalement, il est de notre devoir intégré, parfaitement intériorisé, d’éduquer au mieux nos merveilles, avec amour et respect, dans l’optique de les accompagner sur le chemin de l’épanouissement personnel (ici, verser une larme sur la noblesse de mon propos).

Avec le plus parfait aveuglement, avec la plus magistrale bonne foi, entre un aller-retour au club de judo et la signature du dernier bulletin du collège, nous faisons donc de nos filles des condamnées au viol, crimes dont elles seront bien évidemment les victimes-coupables puisque si elles sont violées c’est parce qu’elles n’auront pas suivi les élémentaires conseils de prudence, et nous faisons de nos fils de potentiels violeurs, incapables de réfréner leur désir bien naturel, suscitées par ces meufs qui font rien qu’à les aguicher avec leurs fringues de salope et leurs attitudes totalement libérées.

Oui, nous. Vous, moi, et toi aussi là-bas au fond, toi la mère épouvantée qui hurle déjà au scandale en martelant que les violeurs sont des monstres et que c’est horrible de ma part de mettre ton adorable rejeton boutonneux à pénis au même niveau que ces gros tarés de criminels, que d’abord il faudrait tous les condamner à mort et leur couper la bite.

Et pourtant. Nos fils sont, et resteront de nos potentiels violeurs, tant que nous contribuerons à en faire de potentiels violeurs, via l’éducation que nous leur donnons, et qui est le parfait reflet de l’éducation que nous donnons à nos filles.

Oh bien sûr, nous encourageons nos filles à ne pas se restreindre dans leur orientation professionnelle, à considérer l’égalité comme un droit et un objectif louable, et parfois même, nous tentons de leur insuffler la force de résister aux injonctions patriarcales diverses.

Quant à nos garçons, nul doute que nous les enjoignons à ne pas lever la main sur les filles, à se montrer corrects, et à être des mecs cool.

Mais pour ce qui est du viol, nous n’avons même pas commencé à y réfléchir, tant il est terrible pour des parents d’envisager que notre enfant puisse être un jour coupable d’un crime contre lequel nous nous accordons tous à prétendre lutter de notre mieux.

C’est donc persuadé.e.s d’agir au mieux que nous prenons soin de nos filles, victimes potentielles du viol, en leur donnant de très oppressifs conseils de prudence : nous restreignons leur liberté de mouvement dans l’espace public (ne te promène pas dehors tard le soir, seule), nous restreignons leur liberté vestimentaire (ne t’habille pas trop court, pas trop voyant, pas trop “pute”, pas trop sexy, pas trop tout), nous restreignons leur liberté de parler (ne provoque pas les garçons), nous restreignons leur liberté de désirer (ne crois pas que les garçons vont être en mesure de s’arrêter si tu es allée trop loin), et tant que nous y sommes, nous restreignons également leur liberté de penser (c’est mieux d’être amoureuse pour ta première relation sexuelle).

Et nos garçons ? Oh non, pour nos garçons c’est différent ! Les garçons, ça ne fonctionne pas pareil, et vous ne voudriez pas restreindre la liberté des garçons, quand même.

Alors en ce qui concerne nos garçons, nous agissons autrement. Nos garçons, si gentils. Auxquels nous conseillons d’éviter les mauvaises fréquentations (car il est bien connu que ce sont toujours les garçons des autres qui sont de mauvaises fréquentations pour les nôtres, et jamais nos garçons qui sont une mauvaise fréquentation pour les autres).

Nous leur conseillons un tas de choses, généralement liées à leur sécurité matérielle, aux risques élevés d’un taux d’alcoolémie déraisonnable, au danger de monter dans une voiture conduite par un ado plus âgé détenteur du permis mais ivre, à l’importance d’avoir des préservatifs, au cas où il tomberait sur une salope dévergondée qui accueillerait les hommages immérités de la queue de notre rejeton, manquerait plus qu’elle lui refile une saleté, ou qu’elle tombe enceinte, bonjour les emmerdements.

Mais à nos filles nous ne conseillerons pas d’avoir des capotes sur elles, oh non ! À nos filles nous conseillerons plutôt de ne pas coucher en soirée. Une fille bien, ça ne baise pas en soirée.

Les questions que je pose sont donc les suivantes :

Quand expliquerons-nous à nos fils ce qu’est vraiment un viol ? Traduction : quand oserons-nous leur expliquer qu’un viol, c’est le fait d’imposer un acte sexuel à une personne qui ne le désire pas ? Y compris quand il ne s’agit pas d’un monstre-violeur moche dans un parking mais d’un adolescent à qui on n’a pas jugé utile d’apprendre les notions relatives au consentement ?

Quand dirons-nous à nos gamins que le fait d’avoir envie d’une fille n’est pas une excuse pour insister afin d’obtenir contre son gré des gestes et actes sexuels qu’elle a déjà refusés une fois, deux fois, puis un peu moins refusé, puis finalement accepté par crainte d’un tas de trucs imprécis ?

Quand aurons-nous le cran d’expliquer à nos fils que non seulement le consentement est indispensable mais qu’il y a encore mieux que le consentement, c’est le consentement qui accompagne le réel désir ? Et que les femmes désirantes ça existe, sans qu’il ne soit pour autant pertinent de les considérer comme des salopes à qui il est légitime d’imposer des actes autres que ceux qu’elles ont accompli car elles en avaient envie ?

Quand, dans le même ordre d’idées, expliquerons-nous à nos fils qu’une fille qui les embrasse le fait parce qu’elle désire ce baiser (et encore… Même là je m’avance un peu trop), mais qu’elle ne consent par défaut à rien de plus ? Qu’une fille qui passe la main sous leur pull désire glisser la main sous leur pull mais ne consent par défaut à rien de plus ? Qu’on ne baise pas une fille ivre sous prétexte qu’elle a glissé la main sous un pull, parce que son ivresse laisse un doute quant à son consentement ?

Quand nous résoudrons-nous à apprendre à nos fils que oui, parfois la gêne et la pudeur empêchent de verbaliser avec la même aisance que nous autres vieux routards du cul des questions et des remarques qui pourraient pourtant éclaircir les choses ? Et que certes, il n’est pas toujours facile, dans le feu de l’émotion, de se poser pour dire “Hésite pas à dire non, y aura aucun malaise”, “Si t’as pas envie on le fait pas, c’est pas grave”, “On a bu tous les deux, c’est pas une bonne idée, là, parce que je sais pas si t’as vraiment envie” ?

Quand parviendrons-nous, du coup, à leur expliquer qu’en effet ce n’est absolument pas grave de ne pas baiser ce soir-là ? Car non, ne pas baiser ce n’est pas grave ? Que le désir masculin n’est pas une chose sacrée et impérative que les filles se doivent de satisfaire en toutes circonstances ? Que le fait de bousculer le prétendu “ordre naturel des choses” ne provoquera pas la fin du monde si l’envie de baiser des garçons n’est pas satisfaite ? Que non, les hommes n’ont pas des “pulsions irrépressibles” ? Que si cette fille a donné l’impression d’avoir envie de sexe alors qu’elle était complètement bourrée, le bon sens  impose en vérité au jeune homme de ne pas baiser avec elle et de considérer que si elle a réellement envie de lui, ce supposé désir devrait survivre à son ivresse ? Et que dans le cas contraire c’est qu’elle ne le désirait pas, et que baiser avec une fille qui ne le désire pas n’a aucune pertinence ?

Quand saurons-nous leur dire que c’est vrai, le consentement non verbal existe mais qu’il n’est pas toujours aisé à distinguer avec certitude et que cela demande du temps, de l’expérience, une empathie immense et la sagesse de considérer que tout n’est pas si évident que ça ?

Quand comprendrons-nous que sans cette éducation-là, nos fils sont et resteront, dans la certitude de la légitime et toute-puissance prépondérance de leur désir et de notre obstination à nous voiler la face en refusant d’admettre que c’est nous qui instillons en eux cette certitude, nos fils sont et resteront de potentiels violeurs ?

Quand cesserons-nous enfin d’élever nos fils comme les mecs que nous souhaitons désespérément à nos filles de ne jamais rencontrer et subir ?

Quand ?