Lutter contre la culture du traumatisme autour de l’IVG : un enjeu social et politique (texte d’intervention au congrès de l’ANCIC)

20ème journées de l’ANCIC – 15 et 16 novembre 2013

Table ronde n°2 : sortir de la détresse sur l’IVG

Intervention n° 4 : « Lutter contre la culture du traumatisme autour de l’IVG : un enjeu social et politique »

L’interruption volontaire de grossesse est très souvent conjuguée à la forme passive – et douloureuse : on « subit » une IVG, on « a recours » à une IVG, on «passe par» une IVG… Bref, les mots attachés à cet acte sont, en règle générale, négativement connotés.

Et pour cause : l’IVG est au cœur de sempiternelles polémiques militantes, dont le point de départ est bien évidemment le « pour ou contre ».

Mais on constate aussi, et c’est plus surprenant, que la division règne dans le camp des « pro-IVG ». Et si le principe même de la liberté de choix n’est jamais contesté par les pro-choix, on note cependant des dissensions très nettes en ce qui concerne l’approche psychologique de l’IVG ; et il ne faut pas creuser beaucoup pour voir apparaître des mots comme « banalisation » ou « traumatisme », la banalisation étant apparemment une catastrophe à éviter coûte que coûte, et le traumatisme étant considéré comme inévitable, voire obligatoire.

1.  Parlons du prétendu « drame » de la « banalisation »

La banalisation de l’IVG semble en effet être un drame contre lequel les voix les plus illustres s’élèvent avec véhémence. L’exemple le plus frappant est probablement la réaction indignée du professeur Israël Nisand à une tribune publiée le 1er mars 2012 dans Libération [1] par Nathalie Bajos (sociologue-démographe à l’Inserm), Michèle Ferrand (sociologue au CNRS), Laurence Meyer, (médecin épidémiologiste, à l’université Paris-Sud), Caroline Moreau (épidémiologiste à l’Inserm) et Josiane Warszawski (médecin épidémiologiste à l’université Paris-Sud).

La tribune de Bajos, qu’on en approuve ou non les arguments, avait le mérite d’une certaine prise de recul quant aux idées reçues sur la pratique de l’IVG chez les jeunes : des affirmations communément admises y étaient rigoureusement démontées et on pouvait apprendre qu’en réalité, le nombre d’IVG n’augmente pas au fil des années, et que le traumatisme post-IVG n’était pas systématique.

Israël Nisand, lui, pourtant connu pour son engagement en faveur du droit à la contraception, à l’information des femmes et souvent critiqué pour sa souplesse en matière de recours « tardif » à l’IVG médicamenteuse [2], méthode qu’il privilégie activement (nous y reviendrons par la suite), a réagi avec virulence et a affirmé son refus de la banalisation de l’IVG.

Pour lui, « la meilleure IVG est celle qu’on a pu prévenir » ; il estime également que les femmes qui y ont recours sont toujours marquées, d’une façon ou d’une autre, par cette expérience.

Face à cette appropriation de la parole des femmes, les réactions ont été vives, qu’il s’agisse de professionnels de santé [3] ou de femmes ayant eu recours à l’IVG [4] (« IVG, je vais bien, merci »)

2. Question : à quand le droit d’interrompre une grossesse dans la sérénité ?

Ces passes d’armes mettent en évidence le malaise qui, alors que la loi Veil a tout de même 40 ans, continue d’imprégner une société qui ne semble pas prête à accorder aux femmes le droit symbolique d’interrompre une grossesse dans la sérénité, voire (et serait-ce si dramatique ?) dans une relative indifférence.

Et plutôt que de se pencher sur les circonstances concrètes de l’IVG, qui déterminent chez chacune le contexte émotionnel et psychologique entourant l’acte proprement dit, on se concentre hélas sur la mise en vitrine de deux ressentis aux antipodes l’un de l’autre, qu’on instrumentalise pour défendre des conceptions diamétralement opposées de l’accès à l’IVG.

Et si on se trompait de lutte ? Si l’enjeu autour de l’accès à l’IVG n’était pas de déterminer l’existence (généralisée ou non) d’un traumatisme suite à l’acte ou la banalisation de celui-ci, mais les fondements de l’injonction sociale qui donne l’ordre symbolique [5] aux femmes de se sentir traumatisées par une IVG ?

3. Au cœur de la problématique, l’infraction symbolique de l’IVG

Choisir l’IVG est donc encore souvent, en 2013, une décision qui se paie : comme si le recours à une interruption de grossesse, bien qu’autorisé par la loi, restait envers et contre tout une infraction symbolique, que seule l’existence d’un traumatisme permettrait d’expier.

Il serait peut-être temps de comprendre que l’on ne doit pas tout mélanger : la survenue d’une grossesse, son caractère accidentel, son éventuelle interruption, et l’essentiel critère du choix. Il est absurde de comparer, en les mettant au même plan (voire en les confrontant), la souffrance générée par une IVG à laquelle a recours une femme se trouvant dans l’impossibilité de mener sa grossesse à terme alors qu’elle en éprouve le désir, et le soulagement ressenti dans le cadre d’une IVG choisie par une femme qui ne désirait pas être mère.

Et le refus de cette culture du traumatisme, qui perdure dans la conscience collective, passera par une prise de conscience des professionnels de santé, qui sont aux premières loges de ce drame officiel que représente pour certains d’entre eux l’accès à l’IVG : cette prise de conscience consistera à admettre qu’il n’existe pas une seule IVG, que l’IVG n’est pas universellement grave ou anodine, mais qu’il existe une multitude de femmes, toutes différentes, pouvant se trouver placées devant un choix, choix que chacune gérera à sa façon.

Mais cela supposerait de reconnaître aux femmes, au-delà du droit d’interrompre volontairement une grossesse, la liberté de ressentir les choses comme elles l’entendent.

4. Laisser les femmes vivre leur IVG en toute autonomie ? On en est loin

Quand on conteste le ressenti des femmes dans un domaine relevant à ce point de l’intime, on évite en fait l’enjeu principal, à savoir le refus de laisser les femmes vivre leur IVG en toute autonomie émotionnelle et psychologique. Avec toutes les disparités que cette autonomie suppose.

Certes, la lettre du texte, d’un point de vue strictement légal, implique que la femme ayant recours à l’IVG soit en situation de détresse. Mais il est également précisé que chaque femme est seule juge de cette situation [6]. Et la détresse semble ici être entendue comme une détresse provoquée par une grossesse non désirée, et pas par l’IVG.

On pourrait également estimer que le fait de renoncer à avoir un enfant est toujours plus ou moins un sacrifice, le « destin » des femmes restant, malgré l’évolution des mentalités, de procréer, et ce désir étant supposé être inscrit en elles par un prétendu instinct maternel. Et l’attitude de certains soignants illustre parfaitement l’injonction de maternité [7], toujours d’actualité. Pourtant, de nombreuses femmes vivent l’IVG comme un soulagement, une libération, un choix serein [8], refusant la culpabilisation des professionnels de santé et de la société.

Dans leur cas, l’expression « Interruption volontaire de grossesse » est clairement centrée sur le mot « volontaire » et quand on parle de « grossesse non désirée », c’est bien l’absence de désir (d’être mère) qui prévaut. De quel droit un professionnel de santé conteste-t-il ce ressenti?

Cette façon de vivre l’IVG (sans traumatisme ni séquelles) nie-t-elle pour autant la souffrance des femmes pour qui interrompre une grossesse est un choix douloureux ? Non. Il semble évident, quand on lit les témoignages de celles qui n’ont pas été traumatisées par l’IVG, qu’il n’y a chez elles aucune volonté de généraliser l’indifférence, ni d’imposer comme une évidence absolue la banalisation de cet acte : elles luttent simplement pour le droit à disposer de leur corps sans se voir dicter des larmes de convenance et des séquelles psychologiques par une société rétive à l’IVG sereinement vécue.

5. Car les femmes sous contrôle, c’est un ordre social préservé

Nous vivons dans une société patriarcale, dont les fondements sont un ordre en faveur du mâle, ordre dont les règles sont édictées par des hommes et pour les hommes. L’oppression patriarcale dont les femmes sont victimes à bien des niveaux a donc vocation à être pérennisée, le plus efficacement possible. Toute évolution risquerait de faire vaciller le patriarcat dans ses bases les plus solides : il importe donc de garder les femmes sous contrôle, afin de préserver le socle social, politique et financier en place.

Et en amont de l’IVG, c’est aussi (surtout ?) le contrôle global de la fécondité par les femmes elles-mêmes, en toute autonomie, qui pose problème au corps médical. Et le problème a été mis en évidence de façon flagrante au moment de l’arrivée de la contraception en France, qui fut un bouleversement social et politique énorme.

La légalisation de la pilule en 1967 [9], par la loi Neuwirth, fit en effet l’objet de débats houleux, au cours desquels médecins et élus de la nation se sont exprimés avec virulence en défaveur du contrôle des naissances.

Et face à l’inévitable vote de la loi, le corps médical a finalement choisi de ne pas plier sur le principe : la contraception d’accord, mais sous contrôle des médecins. Il ne faudrait pas que les femmes, livrées à elles-mêmes, se croient autorisées à faire n’importe quoi (c’est-à-dire à faire ce qu’elles veulent et sans demander l’avis de personne. Vous imaginez le drame), menaçant ainsi les fondements de notre société, comme l’a expliqué Desproges quelques années plus tard dans un de ces célèbres réquisitoires de l’émission « Le tribunal des flagrants délires », résumant parfaitement la problématique globale des luttes féministes et de la contraception. Je me permets donc de citer Desproges :

« Alors que ce sont les fondements même de la civilisation qui sont menacés, dès que notre chère compagne douce et aimante commence à quitter la réserve feutrée où notre juste raison l’a parquée, pour aller se vautrer dans la décadence gynécocratique, où d’immondes viragos en talons plats se mêlent de conduire elles-mêmes la barque maudite de leur destin sans mâle, avant de sombrer corps et âme au cœur glacé de ces existences sans grâce et sans révérence, où nos sœurs perdues s’abaissent et renient leur condition féminine jusqu’à porter elles-mêmes leurs valises pleines de stérilets ! [10] »

Donc, quand la loi légalisant la contraception fut enfin votée, les mesures restrictives qui y ont été associées étaient si drastiques que concrètement, les femmes y avaient difficilement accès[11].

Pour Marie-Pierre Martinet, secrétaire générale du Planning familial:

«La lecture moralisante de ce qu’est la sexualité est toujours à l’œuvre [12], à travers une grande difficulté à la dissocier totalement de la reproduction et à admettre que les femmes pourraient prendre le contrôle de leur corps […] Globalement, on consent à la contraception – il n’y a plus vraiment de débat autour de cette question –, mais il y a une grande difficulté à admettre que les femmes soient les seules à maîtriser leur fécondité […] Or, comment mieux contrôler les femmes qu’en les désinformant ? C’est une forme de pouvoir qu’on exerce sur elles.»

Elle évoque également la sociologue Michèle Ferrand, pour qui la contraception et l’avortement ont été confiés au pouvoir médical comme relais du contrôle social. Le contrôle sur le corps des femmes est donc à la fois un enjeu sociétal et un enjeu politique.

Marie-Pierre note d’ailleurs qu’à chaque fois qu’on a mis en place des droits contribuant à l’émancipation et au développement de l’autonomie des femmes, « les craintes ont toujours été liées à une éventuelle baisse de la démographie c’est-à-dire à une vision des femmes comme mères plus que sous l’angle des droits propres ».

Ce contrôle n’a jamais cessé d’exister ; et si la contraception est aujourd’hui pleinement entrée dans les mœurs, les réticences symboliques à laisser les femmes gérer de façon autonome leur fécondité restent les mêmes qu’au moment de l’adoption de la loi Neuwirth.

Et le contrôle médical en matière de contraception, officiellement destiné à protéger la santé des femmes et à les informer sur les options contraceptives qui s’offrent à elle, se traduit in fine par une désinformation plus ou moins orchestrée, qui aboutit à une quasi-absence de choix.

Exemple de désinformation « menstruelle » parmi d’autres : beaucoup de femmes continuent de croire que les saignements entre deux plaquettes de pilules sont de vraies règles et non des hémorragies de privation, induites par l’arrêt des comprimés. Croyance confirmée par une bonne partie du corps médical comme par les médias.

Et non seulement les femmes ne sont pas bien informées, au point qu’on pourrait parfois s’interroger sur le respect de l’article 35 du Code de déontologie des médecins [13], mais elles ne savent pas toujours qu’elles sont en droit de choisir leur contraception, plutôt que de se voir imposer un contraceptif à la place d’un autre, parfois sans aucune justification médicale. Pour preuve, les cas très nombreux de nullipares qui se voient refuser la pose d’un DIU, avec des explications parfois fantaisistes (comme le risque de stérilité future).

6. Le constat : des médecins tout-puissants, une propagande pro-pilule, et l’IVG toujours vu comme un « échec » de la contraception

En France, la démarche contraceptive est fortement médicalisée, et rigoureusement encadrée. Et la médiatisation forcenée du scandale des pilules de troisième génération semble plaider pour un contrôle médical accru de la prescription des contraceptifs.

Mais si on laissait aux femmes le choix, il y a fort à parier qu’une grande majorité d’adolescentes et de nullipares, si elles étaient vraiment informées des contraintes et des risques en cas d’oubli de pilule, opterait pour un contraceptif plus facile à gérer au quotidien (implant, patch, DIU au cuivre ou progestatif…), les affranchissant de la crainte d’une grossesse en cas de non observance de la prise.

Or on lit souvent que « la pilule est aujourd’hui – de loin – le moyen de contraception le plus populaire en France, utilisé par la moitié des femmes âgées de 15 à 49 ans [14] » : on nage en plein quiproquo ! Non, la pilule n’est pas le moyen de contraception le plus populaire, mais simplement le moyen de contraception le plus prescrit, ce qui n’est pas du tout la même chose.

Mais essayez donc de vous faire poser un DIU par un gynécologue ou un médecin de ville, en 2013 en France, si vous n’avez jamais eu d’enfants ou si vous êtes adolescente… La pilule est très souvent imposée, alors que le DIU, parmi d’autres méthodes contraceptives, reste sous-utilisé.

Les recommandations officielles même demeurent contradictoires. Les autorités de santé affirment en effet dans le même document [15] que, d’une part « les dispositifs intra-utérins ne sont pas uniquement destinés aux multipares. Il s’agit d’une méthode contraceptive de première intention » mais que « les méthodes de 1er choix chez l’adolescente sont le préservatif masculin et la contraception hormonale, surtout oestroprogestative ». Cherchez l’erreur.

7. C’est toute une culture qui est à remettre en cause

La vérité, c’est qu’affranchies de tout « contrôle » et ne s’en remettant au professionnel de santé que pour valider médicalement un choix personnel, les femmes auraient enfin la mainmise sur leur démarche contraceptive, sur leur sexualité et sur leur fécondité : peut-être cela représente-t-il trop d’autonomie pour une société qui, il y a moins d’un siècle, n’envisageait même pas de conférer aux femmes une capacité juridique égale à celles des hommes.

Partant de là, on peut supposer que le respect du choix de l’autonomie des femmes en matière de contraception et d’IVG pose un vrai problème au corps médical et aux pouvoirs publics, et ce sans réel lien avec le prétendu souci de préserver la santé et le bien-être des femmes.

Car sous couvert d’une préoccupation de santé publique, la « bienveillance » des médecins (hommes et femmes confondus) cache un refus de la société toute entière de déposer les armes, dans une lutte pour le pouvoir résiduel de prendre des décisions à la place des femmes, qui ne sont pas encore considérées comme aptes à décider pour elles-mêmes ce qui leur convient le mieux.

8. Sans oublier le fantasme médical du deuil et la « taxe douleur » sur l’IVG

Exemple concret : dans certains grands CHU, les IVG par aspiration ne sont pratiquées que sous anesthésie générale. Cela signifie donc que pour une femme qui doit retourner bosser vraiment vite, c’est peu envisageable. Car autant on se remet vite d’une anesthésie locale, autant le protocole après une anesthésie générale, ce n’est pas du tout la même chanson, même si bien évidemment on peut se retaper rapidement.

Dans ces services-là, le choix est donc biaisé : pas étonnant que presque toutes les patientes optent pour la méthode médicamenteuse, quand la seule autre alternative proposée est de passer sur le billard, sous anesthésie générale.

Par ailleurs, dans certains CHU, on « peut » également avoir une IVG médicamenteuse jusqu’à 12 semaines de grossesse, c’est-à-dire jusqu’au bout du délai : ceci étant pratiqué hors recommandations de l’HAS[16]. Cela peut se discuter à la fois dans le principe et dans la mise en œuvre, mais si on n’y regarde pas de trop près et qu’on se concentre sur les avantages, à la fois en termes de non invasivité de l’acte médical et de réduction des coûts, ce positionnement peut effectivement passer pour une prise en compte optimale du droit au choix.

Il se trouve néanmoins que les grands adeptes de la méthode médicamenteuse « jusqu’au bout » sont aussi ceux qui s’opposent farouchement à la « banalisation » de l’avortement, et c’est là qu’on touche au cœur du problème. Les médecins qui se félicitent donc d’avoir, dans leur service, un taux très élevé d’IVG médicamenteuse et très peu d’IVG par aspiration [17] (chiffres nationaux : 84 % d’IVG par aspiration) pourraient bien avoir comme motivation d’inclure dans le processus médical de l’avortement un aspect punitif et responsabilisant.

Car quand on retrace le parcours physique et sa potentielle violence dans le cadre d’une IVG médicamenteuse (les contractions, le sang, l’expulsion et à une potentielle visualisation des structures embryo-fœtales), on ne peut exclure l’idée que cette « épreuve » est en fait une  punition, et que si dans ces services on biaise le choix de la méthode d’avortement pour obtenir un taux élevé d’IVG médicamenteuse, ce n’est pas seulement pour réduire les coûts mais surtout pour que nous, femmes dotées du « droit à choisir », nous soyons confrontées au maximum à la violence de l’avortement vécu en direct.

Certains de ces médecins, qui se vantent de taux « record » d’IVG médicamenteuse dans leur service, prétendent même que le « blanc » provoqué par l’anesthésie générale dans l’IVG par aspiration empêche les femmes de faire leur deuil (comme si l’existence d’un deuil à faire était une évidence imposée à toutes), mais ne proposent pas d’anesthésie locale pour qu’elles puissent faire ce prétendu deuil sans le « blanc » du sommeil artificiel.

Hypocrisie totale. Comme s’il était capital de ne pas uniquement ressentir du soulagement. Comme si on nous enjoignait de « perdre un bébé » et d’en faire le deuil dans la souffrance, plutôt que « d’interrompre » simplement une grossesse non désirée, sans douleur.

Ces médecins donnent tout simplement une leçon aux femmes, la fameuse leçon anti-banalisation.

Or de quel droit l’IVG conserve-t-elle encore aujourd’hui, implicitement ou explicitement, un caractère punitif ? Pourquoi une bonne partie du corps médical s’obstine-t-il à considérer qu’il n’y a qu’une seule bonne façon d’avorter, et non des femmes dont l’avortement sera unique, différent, des femmes multiples dans leur parcours, leur vécu et leurs attentes ? Pour conserver le contrôle sur le corps des femmes, pour les éduquer. Pour les punir parfois. Punition qui semble socialement acceptée par la plupart d’entre nous, car il ne faut jamais oublier que dans un système oppresseur, les opprimé-e-s (ici, les femmes) sont souvent les premières à défendre et cautionner le système, tellement l’intériorisation est forte.

Plus grave encore : ces médecins se prétendent pro-choix. Alors qu’au fond, ils sont manifestement  opposés à l’IVG. Car fantasmer sur le deuil ou imposer l’IVG médicamenteuse ne relève pas du droit au choix mais d’un mépris total des femmes et de leur droit à choisir, à choisir vraiment.

On croit donc encore, quasi-systématiquement, que le fait de « renoncer » à une grossesse et donc obligatoirement « à un bébé » est un traumatisme… Et la plupart des articles de presse consacrés à l’IVG affirment clairement que « c’est toujours une souffrance », que psychologiquement c’est toujours dur [18].

Alors je questionne aujourd’hui cette volonté d’imposer la souffrance physique des femmes comme impôt direct de l’IVG.

La médecine moderne dissimule son autoritarisme sous une compassion de façade, en nous imposant un deuil qui semble lui tenir très à cœur.

Et parfois ce n’est pas l’interruption de grossesse qui traumatise, mais bien la violence même de l’acte médical… Violence qu’on pourra présenter comme inévitable, et invoquer comme preuve que l’IVG est toujours un traumatisme.

L’enjeu du contrôle sur le corps des femmes, le refus de considérer l’avortement comme un des maillons de la chaîne de la maîtrise de la fécondité plutôt que comme un échec contraceptif, voilà ce qui amène des hommes, souvent aidés par des femmes qui ont donc parfaitement intériorisé la légitimité de l’oppression, à décider comment nous devons avorter, ce que nous devons vivre en le faisant, quitte à nous faire violence en nous refusant un véritable choix de la méthode.

Alors non, la meilleure IVG n’est pas celle qu’on a pu prévenir, mais celle qu’on a pu choisir, et vivre au mieux selon son propre choix.

La banalisation pourrait alors enfin avoir lieu sans être péjorativement connotée : elle se résumerait simplement au droit d’utiliser un outil (l’avortement) pour ce qu’il est (une solution, et non un problème).

 


[1] http://www.liberation.fr/societe/01012393071-faut-il-s-inquieter-du-recours-a-l-avortement-chez-les-jeunes

[2] http://www.humanite.fr/25_04_2011-droit-des-femmes-ivg-m%C3%A9dicamenteuse-contre-ivg-chirurgicale-470764

[3] http://www.liberation.fr/societe/01012396984-nul-n-a-le-monopole-de-la-parole-des-femmes

[4] http://www.liberation.fr/societe/01012396982-nous-avons-avorte-nous-allons-bien-merci

[5] http://nopasaran.samizdat.net/spip.php?article544

[6] http://vosdroits.service-public.fr/F1551.xhtml

[7] http://www.rue89.com/2012/07/20/mon-ultrafertilite-mes-quatre-ivg-et-les-humiliations-medicales-233981

[9] http://www.assemblee-nationale.fr/13/evenements/1967_legalisation_pilule/index.asp

[10] « Le Tribunal des flagrants délires », réquisitoire de Pierre Desproges « contre » Gisèle Halimi – émission du 20 octobre 1982

[11] http://www.ancic.asso.fr/textes/ressources/historique_ivg-veil.html

[12] http://leplus.nouvelobs.com/contribution/701551-sexe-sexualite-et-contraception-comment-en-parler-de-maniere-constructive.html

[13] http://www.conseil-national.medecin.fr/article/article-35-information-du-malade-259

[14] http://www.liberation.fr/societe/2013/01/02/la-pilule-risque-dose-et-danger-de-diabolisation_871356

[15] http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/fiche_de_synth_350se_contraception_vvd-2006.pdf

[16] http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2011-04/ivg_methode_medicamenteuse_-_recommandations_-_mel_2011-04-28_11-39-11_882.pdf

[17] http://www.humanite.fr/25_04_2011-droit-des-femmes-ivg-m%C3%A9dicamenteuse-contre-ivg-chirurgicale-470764

[18] http://www.aufeminin.com/sexualite-et-sante/israel-nisand-d23826.html